Ismail sait comment les déchets finissent là-bas. Dans son précédent emploi, il devait charger plusieurs fois par semaine les déchets résiduels à éliminer dans un camion et conduire jusqu’au canal, toujours après la tombée de la nuit. «Nous les avons étalés le long de la berge et y avons mis le feu», décrit-il. «Lors du trajet suivant, nous avons jeté ce qui restait dans le canal.» Les déchets étaient dispersés de manière que l’eau les emporte. « Sinon, l’entreprise aurait dû payer le service des ordures pour qu’il vienne enlever les résidus », lance Ismail en levant les sourcils avec mépris.
Dans les environs d’Adana, on trouve de nombreuses décharges de ce genre au bord des routes. En mai 2021, Greenpeace a publié un rapport sur la pollution de l’environnement dans cette ville. Peu après, les autorités ont interdit l’importation des déchets plastiques les plus usuels. Les entreprises de recyclage ont dû prouver qu’elles travaillaient dans le respect des normes environnementales. Mais bien que la Turquie ait officiellement cessé d’accepter ces déchets, les importations ont entretemps presque retrouvé leur ancien niveau. Les interdire n’aide pas la main-d’oeuvre, car les entreprises de recyclage turques se tournent alors vers les déchets plastiques indigènes, avec pour effet de rendre le travail encore plus pénible car il n’existe pas de système de tri pour les ordures ménagères : tout finit dans la même poubelle.
Dans les grandes entreprises qui importaient des déchets, le matériau était relativement propre, se souvient Ismail. Là où il travaille maintenant, les ordures sont souvent très sales, en provenance des environs, suppose-t-il. «La puanteur s’infiltre parfois jusque dans le local où nous prenons notre pause. Cela vous coupe l’appétit. Même avec dix masques de protection, on la sentirait encore.» L’entreprise travaille de toute façon au noir, raconte-t-il. Même l’électricité est obtenue par des moyens illégaux. Ismail montre une vidéo sur son portable où un chariot élévateur défait des ballots qui viennent d’être livrés. De minces sachets colorés pendent en lambeaux, au centre s’élève un nuage de poussière.
La seule chose qui aiderait des personnes comme Ismail, Fatma et Ali, ce sont des emplois légalisés et de meilleures conditions de travail dans les usines. Mais si la Turquie octroyait un permis de travail aux personnes réfugiées, elle se mettrait à dos sa propre population. Alors que l’inflation atteint 36 % et que le taux de chômage grimpe à 22 % chez les jeunes, de plus en plus de gens voient les réfugié·e·x·s comme des concurrent·e·x·s. «L’atmosphère est électrique», s’inquiète Amke Dietert. «Les agressions contre les réfugiés se multiplient.»
En attendant, il est temps que les pays exportateurs et les entreprises de traitement des déchets prennent leurs responsabilités, et cessent de tolérer de leurs partenaires commerciaux à l’étranger qu’ils polluent l’environnement et exploitent leur personnel.